Les états d'âme d'une reine (2ème partie)
Nous avions quitté notre reine alors qu'elle s’apprêtait à narrer sa difficile vie de pondeuse. Narcisse Bourdon, notre journaliste attitré est donc reparti à sa rencontre alors qu'elle n'avait pas encore repris sa ponte.
Narcisse Bourdon : - Merci de m'accueillir à nouveau dans votre superbe demeure.
Sa Majesté : - C'est toujours un plaisir mais ou en étions nous déjà?
Narcisse Bourdon : - Vous étiez sur le point de nous raconter votre vie, une fois les tumultueux premiers jours écoulés.
Sa Majesté : - A oui, ça me revient maintenant. Je venais de vous expliquer les raisons de mon sororicide.
Narcisse Bourdon : - Pardon?
Sa Majesté : - Sororicide... Le fait de tuer sa sœur... En ben alors, il manque de vocabulaire le petit Narcisse. Il faudrait penser à lire autre chose que les schtroumpfs!
Narcisse Bourdon :- Eh bien, vous m'avez l'air en pleine forme. Je sens qu'on va bien s'amuser.
Donc...
Sa Majesté :- Je disais donc qu'une fois le sororicide accompli et après les quelques jours de repos de la guerrière, il allait falloir me faire féconder.
Narcisse Bourdon :- Eh bien ma foi, ce fût probablement un bon moment à passer...
Sa Majesté :- Disons que la première fois, c'est un peu surprenant. Un jour de beau temps, à l'heure ou le soleil est à son zénith, mes sœurs ouvrières se mirent à s'agiter et à voler autour de la ruche, je n'avais pas une envie particulièrement folle de sortir mais j'ai fini par les suivre. En sortant de la ruche, mon excitation était telle que je dégageais alors de fortes effluves de phéromones provenant de mes glandes mandibulaires. Surveillée par mes accompagnatrices, je m'éloignais alors non sans appréhension de ce qui était mon seul et unique logis. Je savais exactement ou je devais aller mais ne me demandez pas pourquoi car je n'en ai pas la moindre idée. C'est probablement ce que l'on appelle l'instinct...
Narcisse Bourdon:- Et vous avez rencontré votre amoureux?
Sa Majesté :- MON Amoureux?! Vous voulez dire MES amoureux!!!
Narcisse Bourdon :- A parce que... Vous avez plusieurs amoureux?
Sa Majesté : - Plus exactement, plusieurs prétendants... Qui se sont mis à me poursuivre. Et je peux vous dire que c'est plutôt déroutant de voir ces milliers de mâles venant des alentours. Et quand je dis alentours, cela peut représenter 10 à 15 kms!
Finalement, le plus rapide sera mon prince charmant. Et ça tombe bien car le plus rapide est probablement un très bon géniteur.
Mais vous connaissant, vous aller me sortir le coup du "c'est pas très romantique tout ça"!
Narcisse Bourdon :- Vous m'avez ôté les mots de la bouche.
Sa Majesté :- Eh bien vous n'êtes pas au bout de vos peines...
Narcisse bourdon :- Je m'attends au pire...
Sa Majesté :- Une fois attrapée par mon champion de poursuite alors que je suis entre 5 et 20 m de hauteur comme ici sur la photo
Photo de Eric TOURNERET, photographe professionnel.
Son Site http://www.lesroutesdumiel.com/eric-tourneret/
Son endophallus resta bloqué dans mon abdomen. Et le prince charmant, en se détachant, le laissa à l’intérieur et se transforma en princesse charmante... Si vous voyez ce que je veux dire...
Narcisse Bourdon : - Euh... Je vois peut être un peu trop bien. Et en effet, en termes de romantisme, ça n'est pas ce que l'on fait de mieux. Ce cher François René de Chateaubriand doit se retourner dans sa tombe... Mais que lui arriva t'il ensuite à ce pauvre ex-prince?
Sa Majesté :- Une magnifique chute libre car il mourut sur le coup!!!
Narcisse Bourdon : - Paix à son âme...
Mais une fois la partie "d'ailes en l'air" terminée êtes-vous rentrée à la ruche?
Sa Majesté : - Je suis en effet rentrée à la ruche, bien qu'il ne m'aurait pas déplu de faire un tour de manège supplémentaire mais le temps se gâtait et je préférais rentrer plus tôt que je l'aurais souhaité. Malheureusement, ma "spermathèque n'était pas pleine et je dus repartir le lendemain à la rencontre de potentiels nouveaux prétendants.
Narcisse Bourdon :- Et bien dites-moi... Vous aviez la santé!
Sa Majesté : - Oh... vous savez, j'étais alors une adolescente pleine de vie et de toute façon, il était important d'avoir une réserve de sperme suffisante pour pouvoir pondre plusieurs années. N'oubliez pas que, si tout va bien, je pondrai durant ma vie des centaines de milliers, voir, des millions d’œufs.
Narcisse Bourdon : - Alors si vous avez autant d'amoureux, c'est uniquement dans le but de remplir votre spermathèque?
Sa Majesté : - Pas exactement car c'est aussi pour faire ce que l'on appelle un brassage génétique. Comprenez que plus j'ai d'amoureux, plus il y aura de pères différents pour toutes les sœurs de la colonie.
Et oui, dans une colonie d'abeilles, les ouvrières ont une seule mère (sauf cas particulier) mais plusieurs pères.
Narcisse Bourdon : - Une petite question si vous le permettez... Pour quelle raison partez-vous avec autant d'ouvrières quand vous faites votre vol nuptial?
Sa Majesté :- C'est enfantin... Sachez que nous autres les petites bêtes volantes avons un grand nombre de prédateurs et s'il m'était venu à l'idée de partir seule, je me serais alors exposée à de grands dangers. Et si par malheur, je m'étais faite becqueter par une petite mésange charbonnière, cela aurait signifié l'arrêt de mort de la colonie car il n'y avait plus d’œufs dans les cadres au moment de mon vol de fécondation et donc plus de possibilité de faire une nouvelle reine en cas de pépin.
Les ouvrières de la colonie décidèrent donc de m'accompagner pour diluer les risques. En cas d'attaque, plus il y a d'abeilles et moins il y a de chance que la reine serve de casse croûte à un volatile affamé. Et comme ces goinfres ont la mauvaise idée de faire leurs petits en même temps que nous, la menace n'est pas négligeable...
Narcisse bourdon : - Eh bien finalement, tout s'est bien passé puisque vous êtes là à discuter paisiblement avec moi.
Sa Majesté : - Oui en effet, après deux ou trois vols nuptiaux, je me suis reposée quelques jours et ma vie de pondeuse a commencé. Mais bon ...
Narcisse Bourdon : - Oui?...
Sa Majesté :- Eh bien, si vous croyez que la vie d'une reine est exaltante, vous vous fourrez la patte dans l’œil...
Narcisse bourdon :- Ça doit pourtant être sympa d'être la chef de plus de 50000 ouvrières.
Sa Majesté : - La chef... Pensez donc! Vous parlez d'une chef!
Et je regarde si la cellule est disponible et bien propre...
Et je ponds un ovule ou un œuf selon les désirs de ces demoiselles ouvrières.
Narcisse Bourdon :- Comment ça?
Sa Majesté :- Eh oui, si la colonie a besoin de faire des mâles, les maçonnes vont construire des cellules un peu plus grosses et moi je pondrai un ovule non fécondé sur lequel je ne mettrai donc pas de spermatozoïde. Et ça donnera un faux bourdon 24 jours après.
Et si la cellule est plus petite, je poserai un spermatozoïde sur cet ovule et ça donnera une ouvrière 21 jours plus tard. C'est le principe de la parténogénèse Vous pouvez constater que je n'ai rien décidé à ce moment là. Je ne fais que subir.
Narcisse Bourdon : Ah oui, en effet, c'est assez surprenant... Vous avez d'autres exemples comme celui-ci?
Sa Majesté : Eh bien l'exemple le plus flagrant est celui de l'essaimage. Vous savez, quand la colonie a pris le parti de se diviser en deux pour en créer une nouvelle. Croyez-vous qu'elles me l'auraient demandé les chipies?
Narcisse Bourdon :- Heu... Et bien à voir votre tête, je parierais que non... Mais je ne savais pas que vous aviez déjà essaimé!
Sa Majesté : - Ah non?! Je vous l'ai dit, j'ai la mémoire qui bat des ailes...
Eh bien le jour ou elles ont décidé d'essaimer, elles ont commencé par fabriquer des cellules royales. Et dans un même temps, elles se sont permis de me mettre au régime. Moi... Leur propre reine!
Narcisse Bourdon :- Mais pour quelle raison vous ont elles mise à la diète?
Sa Majesté : - Mon dieu quelle humiliation! Comment vous dire... J'étais bien trop grosse pour pouvoir m'envoler. Alors un petit régime et hop me voilà apte au départ.
J'ai pourtant essayé de détruire quelques unes de ces cellules royales pour retarder l'échéance mais c'était perdu d'avance. Le signal était bien trop clair! Et le jour du départ, quand une grande partie de mes filles se sont mises à décamper, il a fallu que je les suive...
Voyez un peu le désordre que cela amène lors du départ! Quel tohu bohu comme dirait l'autre...
Narcisse Bourdon : - En effet, c'est impressionnant! Mais qu'avez-vous fait, une fois dehors?
Sa Majesté :- Eh bien nous avons tout d'abord formé une grappe à quelques mètres de notre ancienne chaumière puis les ouvrières éclaireuses ont cherché un lieu sûr pour nous loger. C'est un moment crucial pour la colonie car si nous avons alors la chance qu'un apiculteur nous remarque, nous sommes certaines d'avoir un logement décent, mais dans le cas contraire, ça peut devenir compliqué comme ici sous un poirier. Vous rendez-vous compte! Quelle honte! La crise du logement peu toucher même les plus petits d'entre nous! Vous imaginez si j'avais du passé l'hiver dans ces conditions! Je ne serais probablement pas entrain de vous parler en ce moment...
Enfin bon, pour ma part, cela s'est bien déroulé et je n'ai vraiment pas à me plaindre aujourd'hui. Mais entre nous, ne le répétez pas, mais j'aurais vraiment préféré ne pas être l'élue et avoir, comme mes soeurs, la chance de changer de métier tout au long de ma vie et ce même si elle avait dû être bien plus courte. Et malgré les risques encourus, finir ma dernière semaine d'existance en survolant nos magnifiques campagnes polychromes, côtoyant sur les coroles des fleurs, nos cousines sauvages et tous les autres pollinisateurs dans un bal enchanté qui illumine mes rêves.
Narcisse Bourdon :- Eh bien dites donc... En voilà une drôle d'envie pour une souveraine.
Sa Majesté :- Oui c'est vrai, vous allez me dire, de quoi se plaint-elle? J'ai bien conscience que ça fait un peu enfant gâté mais vous ne savez pas tout... J'ai encore quelques griefs envers les apiculteurs parce qu'ils ne sont pas toujours tendres envers nous et si vous le voulez bien j'apprécierais que vous reveniez me voir pour que je puisse me plaindre une dernière fois et ainsi mettre quelques petites choses au point.
Narcisse Bourdon :- Eh bien ma foi, je reviendrai avec plaisir si vous y tenez.
A très bientôt alors.
Sa majesté :- Merci bien. A très bientôt.