Une vie d'abeille (suite et fin)
Quelques jours après le début de notre interview, nous avons intercepté mademoiselle Propocire. Celle-ci était beaucoup plus posée et même quelque peu fatiguée...
Mademoiselle Propocire : - Tiens, vous revoilà... Vous êtes plutôt obstinés!!
Le rucher de Bussy : - Nous tenions à connaître la fin de votre histoire.
Mademoiselle Propocire : - la fin de mon histoire est en effet très proche. Je vais bientôt tirer ma révérence car j'ai maintenant 40 jours et une nouvelle génération d'abeilles d'hiver va prendre notre place nous autres vieillardes. Elles passeront la saison froide dans la ruche pour que des jeunettes puissent relancer la colonie au printemps prochain.
Le Rucher de Bussy : - Vous voulez dire qu'elles vont vivre plusieurs mois?
Mlle P : Elles vont en effet vivre bien plus longtemps que les abeilles d'été mais leur vie sera moins flamboyante.
LRDB : A propos, ou en étions nous la dernière fois ?
Mlle P : J'en étais à ma période de manutention. C'est un passage de ma vie assez compliqué car en 10 jours (du 10ème au 20ème jour), je pouvais passer très rapidement d'un métier à l'autre.
Voici la liste de ces derniers :
- maçonnes : je construisais ou réparais les rayons présents dans la ruche. Une glande me permettait alors de sécréter de petites écailles de cire que mes soeurs et moi manipulions avec dextérité.
Mais nous n'utilisions pas uniquement cette cire neuve. La vieille cire ou encore la propolis (substance antiseptique fabriquée à partir de résine végétale) sont très intéressants pour la maçonnerie apicole.
- ventileuses : Voilà une activité particulièrement physique même si elle est faite sous forme de vacation. Il y a alors deux objectifs. D'une part, faire tomber la température interne de la ruche lors de grosses chaleurs. C'est plus naturel que votre paracétamol!!! S'il fait trop chaud, la cire risque de fondre. Vous imaginez les dégâts que cela peut entraîner... Alors, nous battons des ailes afin de créer un courant d'air.
D'autre part, cela nous sert aussi à assécher le miel qui est stocké dans les rayons pour pouvoir operculer (fermer) les alvéoles avec un taux d'humidité inférieur à 18%. Si ce travail est mal fait, le miel risque de fermenter et les stocks hivernaux seraient alors dégradés. Nous avons d'ailleurs beaucoup de travail lors des grosses miellées.
Attention à ne pas nous confondre avec les rabatteuses qui ont pour but d'envoyer des phéromones aux alentours de la ruche pour rassembler les petites sœurs dans la maison.
Notez que dans ce cas précis notre abdomen est plutôt pointé vers le ciel pour placer la glande de Nasanov qui envoie des phéromones le plus haut possible.
Le petit point blanc au bout de l'abdomen, c'est la glande de Nasanov qui envoie les phéromones
Ce travail de ventileuse a la particularité de concerner beaucoup d'abeilles quelques soient leurs divers métiers. Il n'est pas rare de voir une butineuse chargée de pollen se mettre au travail si le besoin s'en fait sentir...
- Gardiennes : Voilà un poste à responsabilité. Selon les périodes, le travail peut être plus ou moins compliqué. Par exemple en pleine miellée, il y a tellement de travail que peu de monde se préoccupe des dangers extérieurs à la ruche. Par contre, quand la disette se fait sentir, attention au pillage... Notre fonction est alors cruciale pour la survie de la colonie.
Ici, des voisines bourdonneuses (voir ici) ayant été privées de leur studio par l'apiculteur, ont dû se rabattre sur la ruche d'à côté. La carte d'identité pheromonale étant demandée par les gardiennes, ça a créé un bouchon gigantesque à l'entrée de la ruche.
Parfois, le gardiennage est plus anecdotique.
Et parfois, il est particulièrement agressif!
Là, ça rigole pas!
LRDB : - Finalement, vous passez une grande partie de votre vie dans votre maison...
Mlle P : - C'est vrai que durant les 30 premiers jours j'étais un peu casanière mais le jour ou j'ai pu prendre l'air, mon dieu quel bonheur!!! Je me suis senti comme la chèvre de monsieur Seguin qui venait de rompre ses liens.
Bien entendu, vous et vos deux pattes vous ne pouvez pas prendre conscience du plaisir que l'on retire à battre la campagne par 20 m d'altitude en tutoyant hirondelles, alouettes et autres bestioles de toutes plumes. Même si ces dernières sont rarement d'une grande docilité envers nous...
LRDB : - C'est en quelques sortes les grandes vacances...
Mlle P : - hep! hep! hep! Ne nous emballons pas!!! N'oublions pas que dans la grande majorité des cas, c'est ce dernier métier qui nous fera passer de vie à trépas.
Si le paysage et cette sensation de liberté sont, il est vrai, particulièrement envoutants, de grands dangers nous guettent à chaque coin de jardin.
Prédateurs, véhicules, noyades, pluie, froid et enfin pour nous achever, pesticides, font de nous les Indiana Jones de la ruche. Mais quand faut y aller, faut y aller...
Nous avons tout de même la responsabilité de ramener nourriture et boisson pour toute la population des bébés jusqu'à la reine. Nous revenons bien souvent le jabot plein de nectar ou d'eau et les corbeilles débordantes de pollen ou de propolis.
Et quand nous sommes au bout du rouleau, nous avons, pour la majorité d'entre nous, la courtoisie d'aller mourir loin de la ruche afin de facilité le travail des nettoyeuses.
LRDB : - C'est en effet tout à votre honneur...
Mlle P : - Vous ne croyez pas si bien dire, car je pars immédiatement pour mon dernier voyage. Ayez une petite pensée pour moi la prochaine fois que vous verrez une de mes petites soeurs polliniser votre pommier ou cerisier...
LRDB : - N'en doutez pas un instant. Et merci à vous de nous avoir consacré un peu de votre temps.